Images de Guerville - 1939 à 1945 PDF Imprimer Envoyer

Depuis 1938, la situation internationale n'a cessé de se dégrader. La Politique allemande menée par son chancelier Adolf Hitler et son équipe, fait planer sur l'Europe une menace constante de conflit.

Les habitants de Guerville, comme tous les Français, assistent aux événements historiques qui précipitent les peuples vers une guerre qui devient inéluctable.

Les préparatifs s'accélèrent. Les affiches blanches officielles sont placardées sur les panneaux municipaux.

24 septembre 1938, rappel immédiat des réservistes dont le livret militaire porte le numéro 2.

28 septembre 1938, rappel des réservistes dont le livrait militaire porte les numéros 3 et 6.

Déjà à cette période l'armée a installé sur les collines bordant la Seine, des compagnies d'aérostiers dont les ballons captifs - nommés saucisses - sont hissés chaque soir et rappelés au sol le matin. Les câbles de ces ballons sont censés empêcher tout survol ou toute attaque aérienne de nuit en rase motte

Fin 1938, nombre de rappelés rentrent chez eux. Mais les précautions s'accélèrent.

Un état communal du 11 novembre 1938 dresse la liste des hommes de Guerville appartenant aux premières et deuxièmes réserves ainsi que celle des hommes sans affectation.

Elle nous livre aussi une intéressante précision sur la répartition des professions agricoles à cette date.

On répertorie ainsi 35 chefs d'exploitation, 20 ouvriers agricoles, 1 maréchal ferrant, 1 charron forgeron, 12 charretiers agricoles.

La liste des Requis civils de la commune s'établit à soixante deux hommes.

Les évènements militaires se précipitent et suite à la mobilisation générale, la guerre à l'Allemagne est déclarée le 3 septembre 1939 à 17 heures.

Sur les coteaux de La Plagne, les aérostiers appelés du contingent, sont remplacés par des réservistes. Ils y séjourneront jusqu'à la débâcle militaire de mai 1940.

L'automne puis l'hiver passent. Au printemps c'est la fin brutale de cette attente surnommée la drôle de guerre.

Les offensives allemandes d'une brutalité inouie déferlent sur les Pays Bas, la Belgique, puis sur le Nord de la France. Les troupes alliées reculent. Mai voit arriver les premières cohortes de réfugiés belges et français du Nord.

A partir du 15 mai, l'exode commence. Par trains, par véhicules de toutes sortes : automobiles, cycles, motocyclettes, charrettes, même corbillards, etc... tous partent sur les routes. Un seul but : fuir devant l'ennemi.

A Guerville, comme partout, on est aux écoutes des communiqués radiophoniques. On redoute les espions. Les rumeurs s'amplifient.

Les premiers réfugiés commencent à déferler. Débarqués en gare de Mantes dans Ia nuit du 26 au 27 mai 1940, les hommes du 3èw Régiment de Zouaves (partis d'Alger le 21 mai) sont dirigés vers Guerville.

L'état-major et les compagnies réglementaires prennent cantonnement à Guerville, à Senneville et dans les communes environnantes. C'est ainsi qu'un jeune zouave originaire de notre commune (Paul Fournier) se retrouve cantonné à Breuil Bois Robert.

Vu la tournure catastrophique des évènements, le 3ème Régiment de Zouaves reçoit l'ordre de faire mouvement le 5 juin à 17 heures en direction de Beauvais.

L'évacuation a lieu le 6 juin entre 6 et 7 heures.

Après avoir accueilli des réfugiés venus du Nord, la panique gagne à son tour la population guervilloise. Le débat (partir ou rester) s'instaure dans les familles. Le Maire, Alphonse Leclerc, invite fermement les gens à rester chez eux. Ses appels sont vains.

Deux exemples :

  • Famille POLS, épiciers à Senneville.

Madame POLS et ses enfants (fille, belle fille, petite fille, sa nièce et son fils, eux-mêmes réfugiés de Reims). Le père, René POLS reste avec Ici promesse de les rejoindre à motocyclette à Saint- Germain Lembron (Puy de Dôme), pays d'origine de Madame Fernande POLS (ce qu'il ne fera jamais). L'exode des premiers durera quinze jours environ. Il s'arrêtera à Vallon en Sully (Allier). Distance parcourue : 300 kms.

  • Famille Auguste LIZERAY, exploitant agricole au bourg de Guerville.

Malgré l'avis défavorable du grand-père, on charge la gerbière, les deux tombereaux. Chaque voiture est tirée par un cheval. Le premier soir, la famille trouve refuge dans un pré accueillant à Bazainville et y restera une semaine environ. Distance parcourue : 18 kms, puis c'est le retour à la ferme.

Les retours s'échelonnent et pour certains habitants c'est une douloureuse surprise qui les attend. Portes fracturées, les maisons ont été visitées et pillées. Zone d'ombre sur la période d'abandon et sur les auteurs de ces actes (militaires allemandes et autres ?...)

Des détachements allemands ont séjourné en la commune les 12 juin, 15 juin 18 juin, 19 juin, puis du 8 au 15 juillet (grosse occupation cette fois).

Le Maire invite les victimes des pillages à déposer en mairie les listes des objets disparus. Aucune suite ne sera jamais donnée aux plaintes déposées.

Pour étayer la chronologie de cette période, je pense qu'il est logique de publier in extenso le compte rendu de ces événements tragiques de juin 1940, qu'en fit le Maire au Conseil Municipal lors de la séance du 28 juillet 1940.

« Le Maire fait au Conseil un exposé des faits qui se sont déroulés dans le commune en juin : du dix à la fin du mois et au début de juillet, et des initiatives qu'il a dû prendre. Le 9, le 10 et le 11: nombreux départs des habitants malgré l'avis contraire du Maire

Le 11 Juin : dernière communication avec la Préfecture, il n 'y a aucune raison d'évacuer Guerville, sauf ordre de l'autorité militaire. A partir de ce moment la Commune reste sans liaison aucune avec /extérieur.

Pour obtenir des renseignements sur la situation et la conduite à tenir, M. le Maire décide d'aller à Versailles. M. l'abbé LABORDA accepte de /y conduire le vendredi 14 juin au matin. Le voyage est particulièrement pénible parmi les réfugiés qui encombrent les routes et il ne donne aucun résultat: impossible de pénétrer dans Versailles. Le même jour, vers 16 heures, la première patrouille allemande traverse Guerville. Il y a de légers incidents provoqués par l'initiative dangereuse d'un habitant : le Maire, par une intervention énergique parvient à éviter les conséquences désastreuses qui auraient pu en résulter pour toute la Commune.

Le 15 juin: au matin, arrivée d'un détachement allemand motorisé, occupation de quelques maisons vides. Ordre est donné /e soir à M. le Maire de réunir toutes les armes d la Mairie : elles sont apportées le lendemain. Le Maire fait apposer une affiche invitant les habitants au calme

"Quelques habitants ont été assez courageux pour ne pas partir sans en avoir reçu l'ordre : leur conduite a été en tous points honorable. Les soldats allemands sont chez nous : que personne ne s'en effraie, ce sont des hommes comme nous. Je vous demande de les recevoir dignement: soyez corrects et polis envers eux. Je vous recommande aussi de leur donner tout ce dont ils pourront avoir besoin dans la mesure du possible. "

Le 16 juin : départ du détachement.

Le 18 juin: dans la matinée, arrivée d'un nouveau détachement dont l'état-major s'installe au Château de la Magne. Le même jour, Madame DUMONTEIL ayant l'argent nécessaire en caisse, M. le Maire la requiert de payer les allocations militaires aux bénéficiaires présents.

Le 19 juin : départ du 2ème détachement allemand. Le pays reste absolument calme, les évacués volontaires reviennent peu à peu chez eux.

Le 8 juillet: arrive un détachement allemand assez important qui cantonne dans le bourg jusqu'au 15 juillet: les habitants sont obligés de fournir logement e t cantonnement à la troupe. Au début de juillet, ne voulant pas que les familles des mobilisés souffrent du non­paiement des allocations militaires, M. le Maire va à Versailles: il obtient 10 000 Frs de M. le Trésorier Payeur Général et avance lui-même 7 000 Frs pour que puissent être payées les allocations échues.

Le Maire tient à féliciter personnellement Madame BOULOT, secrétaire, qui est restée à son poste : a refusé de partir puisque le Maire demeurait dans la Commune. Il tient à remercier Madame BOURSOT qui n'a pas abandonné son poste et qui s'est dépensée sans compter pour assurer son service. Remerciements également à M. l'abbé LABORDA Ramon : en restant à son poste, il a donné un bel exemple de calme aux habitants, il a contribué dans une large part au ravitaillement du pays en pain.

Le Conseil, d l'unanimité, s'associe aux félicitations et remerciements que le Maire adresse à ceux qui l'ont aide.. »

 

Guerville comme toute la partie de la France occupée va subir le joug allemand.

Désormais, le Journal Officiel reçu en Mairie sera celui publié par le groupe d'armées allemandes d'occupation.

Je relève que le n° 1 du 20 juin 1940 publie une proclamation à la population de France, une ordonnance sur la possession d'armes, et fixe le taux de change du franc à 0,05 reichmark.

Le 3 septembre 1940, il publie une ordonnance relative à la protection des œuvres d'art et la nécessité pour chacun de déclaration d'œuvre d'art et de meubles ! Dans la zone occupée, nous saurons plus tard ce qu'il en sera de la soi-disant protection annoncée ! Ce même journal publie les premières mesures contre les Juifs : obligation pour eux de se faire inscrire sur un registre spécial en Sous-préfecture, apposition d'une affiche : « Entreprise juive » sur tout commerce dont le propriétaire est juif.

Le 5 octobre 1940 voit l'interdiction de photographier en plein air ou du fond d'une enceinte et de l'intérieur d'une maison.

Le 18 octobre 1940 est publiée l'ordonnance annonciatrice des exécutions futures : « Toute personne qui cache ou loge chez elle soit des prisonniers de guerre fugitifs ou dépourvus d'un certificat de libération de captivité ou de congé, soit des personnes appartenant à une force armée ennemie, sera condamné à la peine de mort ».

Le 20 octobre 1940 voit l'ordonnance finale contre les juifs et concerne toutes les professions . libérales, entreprises, sociétés, etc...

La chasse était interdite, le trafic postal réglementé, les feux de plein air interdit.

Voilà un bref résumé des mesures immédiates imposées par les autorités militaires allemandes sur l'ensemble des territoires occupés.

Mais comment s'organisera la vie dans notre commune dans cette terrible époque. Désorganisée par l'absence de nombreux prisonniers, l'agriculture notamment voit les femmes s'investir de plus en plus dans les travaux des champs.

Les anciens reprennent du service. L'entre aide est constante notamment au moment des battages.

Dès le début de la guerre, le gouvernement avait prévu l'institution puis la distribution de cartes de rationnement. Tous les produits étaient concernés. Avec l'occupation et les réquisitions forcenées des autorités allemandes, le ravitaillement va devenir le souci n° 1 des Français.

Notre Commune compte alors cinq commerces de bouche : deux à Guerville (Lefrançois et Pigis), deux à Senneville (Pots et Roussel), une à La Plagne (Lecomte), et deux marchands de chaussures (Lemarié et Vai Ilat).

Pendant quatre ans, ces épiciers vont assurer le ravitaillement des villages. Je veux souligner le dévouement dont ils firent preuve dans des conditions extrêmement difficiles.

Sans cesse à l'affût de la sortie des numéros de tickets dispensateurs des maigres rations allouées : sucre, beurre, huile, pâtes, confiture, viande, etc... il fallait collecter lesdits tickets, les coller et surtout faire le siège des grossistes

Qui pense encore au dévouement de ces épiciers de campagne, privés souvent de tout moyen de transport et aux déplacements qu'il leur fallait effectuer à Mantes, à Limay, à Versailles et autres lieux.

Les vélos chargés, poussés à pied dans les côtes furent les plus sollicités.

Pour les colis plus lourds, on avait recours au laitier assurant chaque jour la collecte du lait, au boucher venant une fois par semaine de Mantes, aux carrioles du paysan voisin.

Les rations allouées étaient maigres : 350 g de pain journalier aux adultes (non travailleurs de force). C'était l'époque où l'élevage des lapins, par exemple, connut son apogée.

Quant aux chaussures, aux vêtements, aux pneus de vélo... on devait solliciter l'attribution hypothétique de bons spéciaux. Les sabots, les galoches reprirent du service.

Les maires procédaient comme à Guerville le 16 février 1941, à la mise en place de commissions d'attribution...

Mais ici, comme ailleurs, on palliait la pénurie des bons par le troc quand on en avait la possibilité !

Pour lutter contre le vol des récoltes on procéda à la nomination de gardes messiers : quatre à La Plagne, six à Guerville, quatre à Senneville, deux à Fresnel, deux aux Clos Fours.

Les terres privées d'engrais avaient des récoltes faibles. Et puis il y avait les implacables réquisitions imposées sur tous les produits agricoles et d'élevage.

En ce qui concerne l'information quotidienne il faut souligner que les journaux nationaux avaient repris leur parution dès le début de l'occupation. Les titres étaient restés mais la direction de ces quotidiens était sous le contrôle de la propagande allemande. Les éditoriaux très collaborationnistes martelaient les lecteurs et tentaient de lancer les Français dans la voie tracée par le gouvernement de Vichy de Pétain Laval.

Passifs d'abord pendant les années 1940-1941, les Français retrouvaient peu à peu un état d'esprit nouveau. La résistance à l'ennemi s'organisait passive et active.

La radio dite française (sous contrôle allemand) diffusait ses communiqués mensongers. Les chroniqueurs attitrés, Jean Hérold-Paqui, Philippe Henriot se déchaînaient contre les patriotes, les gaullistes, les juifs. Les affichettes allemandes annonçaient les fusillés sans 4 cesse plus nombreux.

Heureusement beaucoup d'habitants avaient conservé leur poste de T.S.F. et aux heures des émissions de la B.B.C., malgré le brouillage, on écoutait avec précaution, les informations.

Une voix familière annonçait : « Ici Londres... ». Suivaient alors les messages personnels puis les informations. On se communiquait les bonnes nouvelles.

Les imprimés clandestins quelquefois circulaient.

Les avions alliés lâchaient eux aussi des tracts. C'est ainsi que dès octobre 1940, Mademoiselle Marie-Louise Pols découvrit dans son jardin un mini journal distribué par la R.A.F.

D'admirables résistants comme Pierre Dac lançaient sur les ondes anglaises des chansons satyriques ; on vibrait d'émotion en écoutant les allocutions de Maurice Schumann et la voix du Général de Gaulle.

Sans cesse - nous sommes en début 1944 - les escadrilles alliées survolent de nuit puis de jour la vallée de Ici Seine.

Bombardement de la gare de Mantes Gassicourt la nuit par la Royal Air Force. Puis le terrible bombardement du 30 mai par l'aviation américaine. Ponts sur la Seine entre Mantes et Limay détruits, mais rasé aussi tout le bas de Mantes.

L'aveuglement coupable d'un procureur de l'État français qui refuse le transfert des prisonniers de la prison fut la cause d'une catastrophe. 215 victimes sur 232 occupants. Nombreuses furent les victimes qui périrent dans ce quartier.

6 juin 1944: débarquement allié en Normandie. La bataille s'intensifie. Après les percées des armées alliées, les Allemands refluent. Dès le début août on voit passer dans nos villages comme dans Mantes, d'étranges équipages : les Allemands ont réquisitionné des charrettes avec le charretier, des carrioles. Je vis même, descendant de Magnanville un soldat juché sur un rouleau. C'est la retraite.

Vers le 15 août, un groupe de soldats en carriole traversa Senneville, fit halte à la fontaine Saint Jean et se ravitailla dans les fermes. A Mademoiselle Pols qui lui demandait s'il partait pour le front, un soldat lui répondit en français : « Vous avez vu notre équipage ! »

Le 18 août au soir je vis passer devant l'école de Senneville la dernière automitrailleuse nazie. Un soldat, torse nu bardé d'une bande de cartouches et armé d'une mitrailleuse, me demanda la direction de Paris. Je lui criai en pointant mon bras « tout droit ! »

Je sus plus tard qu'il s'agissait des rescapés d'un engagement avec les Américains dans le village de Vert.

Le 19 août, venant de Breuil, une petite colonne américaine comprenant auto mitrailleuse, camion et jeeps arriva à Guerville entre 10 heures et 11 heures puis à Senneville à 11 heures 50.

Dans les jours qui suivirent, les unités d'infanterie et d'artillerie américaines s'installèrent sur les collines de La Magne afin de contrôler Ici vallée de la Seine et de bombarder la rive droite.

Un important campement fut installé en plaine entre Guerville et Arnouville. Après la dure bataille du Vexin, le campement militaire fut démonté et toutes les unités partirent.

La libération fut fêtée dignement à Guerville.

La nouvelle administration remettait peu à peu en route les institutions républicaines.

C'est ainsi que, suivant les instructions du nouveau Sous-préfet, et en l'absence de comité local de libération, le Conseil Municipal en place proposa des candidats pour compléter ledit conseil (réunion du 24 septembre 1944).

Le 16 décembre 1944, eut lieu l'installation du nouveau Conseil. Furent élus Julien Muret, maire, Emile Guénet et Charles Turpin, adjoints.

On prépara désormais le retour des prisonniers et des travailleurs déportés.

Et comme il se doit, il fut décidé que lorsque tous les prisonniers et travailleurs seront rentrés un banquet leur sera offert par la municipalité.

De cette période douloureuse, nous conservons le souvenir de cinq Guervillois décédés.

Leurs noms, gravés sur le Monument aux Morts, nous rappellent leur disparition.

 

Roger PEULVAST

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